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La Palangrotte
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16 septembre 2015

Entre sel et tourisme

 

L’extraction de sel génère plus de 600 millions par an et fait travailler trois mille personnes dont une majorité d’étrangers. La marchandise exploitée annuellement est quantifiée à 24 mille tonnes. Lac Rose, assimilé au sel, est devenu par la force des choses un site touristique. Mais depuis un certain temps, les personnes qui y travaillent ne se frottent plus les mains, pour moult raisons. EnQuête vous plonge dans l’univers de cette denrée dont aucun plat sénégalais ne saurait se passer.

 

Même si on approche de midi, ce n’est pas encore le début de la journée pour les travailleurs du Lac Rose. Le mercure était en deçà de 32° samedi, après les pluies de la veille, mais  une atmosphère poisseuse étouffait les rares personnes trouvées sur place. Dans ce site baignant dans l’indolence, les  rares voitures et la divagation des animaux domestiques donnent un peu d’entrain à ce patelin mal réveillé. Sans oublier les tas de sel qui ne respectent pas les normes sécuritaires contrairement à ce qu’on entend ici. 

Situé dans le département de Rufisque, Lac Rose se situe à une trentaine de kilomètres au nord-est de Dakar, à moins d’une heure de route. Le site du lac est long de 5 km sur 800 m de large, avec une superficie estimé  à 4,2 km2.  Selon les témoignages recueillis sur place, c’est la mer qui alimente le lac, c’est ce qui explique d’ailleurs le fait que, tout au tour du lac, l’eau douce soit disponible. ‘’C’est à cause de cela que le Lac est certes salé mais il suffit de creuser dans les abords pour avoir de l’eau douce’’, confie une personne trouvée sur place.

Dans ce lieu d’exploitation saline, trouver quelqu’un à qui arracher un mot revêt de l’ordre de l’impossible. Comme s’ils s’étaient passé le mot, les gens sont peu prolixes. ‘’Ici, nous sommes organisés, si voulez parler à quelqu’un, il faut aller de l’autre côté et vous y trouverez une personne appropriée pour répondre à toutes vos questions’’, nous dit un quidam d’un pas pressé. Chou blanc ! La personne indiquée n’est pas sur les lieux. Personne ne saurait dire même si elle existe. Après quelques mètres de marche, sous le chaud soleil, on n’entend rien du tout hormis un patron qui encourage ses employés de nationalités étrangères.

L’homme, qui fait mine de ne pas nous voir, encourage ses employés  comme une parodie du laboureur à ses enfants dans le célèbre poème de Jean de la Fontaine : ‘’Dépêchez-vous !  Dépêchez vous ! Du courage ! Bientôt la saison. Et cette fois, elle sera bonne’’. A force de marcher et de faire la sourde oreille face aux regards suspects que les quelques personnes lançaient à notre endroit, nous sommes finalement tombés sur une personne décidée à parler mais sous couvert de l’anonymat. ‘’Posez-moi toutes les questions que vous voulez, mais ce n’est pas la peine que je me présente. A prendre ou à laisser’’, lance-t-il, ferme. Selon lui, l’endroit est vide en ce moment de la journée car, le boulot y débute vers les coups de midi pour terminer vers 17 heures. ‘‘Ici ce sont les étrangers qui travaillent en majorité. Ils viennent de Burkina, Mali, Bénin et dans le sud du pays. Il y a 3 000 personnes qui travaillent. 

Personnellement, j’officie dans l’extraction du sel mais aussi dans le secteur du tourisme au niveau de Lac Rose’’, déclare cet individu. Et de poursuivre : ‘‘J’achète du sel pour le commercialiser au niveau de la sous-région et notamment au Mali, Bénin, Togo et au Burkina Faso. Je vends annuellement trois camions de sel  soit une quantité totale de 40 tonnes’’. Notre interlocuteur de teint noir, habillé d’un pantalon en blouson, et d’un Lacoste semble connaître les lieux comme le fond de sa poche. Il a expliqué que le sel est extrait au niveau du lac avec des pelles, des piques et un tamis. Et ce sont les pirogues qui sont censées faire parvenir la denrée au rivage. Ils les louent à raison de 5 bassines de sel. ‘’On ne paye pas de l’argent pour louer les pirogues, mais du sel.

Entre 20 mille et 24 mille tonnes de sel par an

La quasi-totalité des propriétaires  de ces pirogues en question, ne sont pas là. Moi je possède une seule pirogue, mais je l’utilise dans le cadre du tourisme. A chaque fois que des touristes me sollicitent, je les embarque à bord de ma pirogue pour une visite du Lac. On récolte entre 20 mille et 24 mille tonnes de sel par an, pour un coup estimé entre 500  et 600  millions FCFA’’ a-t-il précisé. Notre guide du jour, a confié que chaque pirogue a une seule personne à son bord et elle peut récolter jusqu’à une, voire 1,5 tonne de sel. ‘’Et il faut moins de 10 heures de tour d’horloge pour remplir une seule pirogue. On ne paye rien pour extraire le sel au niveau du lac, mais nous prenons des risques énormes, car pour un rien, on peut avoir des boutons ou des démangeaisons. C’est très risqué, mais on est  obligé de le faire car il n’y a pas d’emploi dans ce pays. Et ici, pas moins de 3 000 personnes s’activent. Je pense que c’est une bonne chose pour l’Etat de voir autant de gens travailler car c’était à lui de s’en occuper’’, a-t-il dit.

 A l’en croire, le fait de prendre un bain dans le Lac pourrait soigner des maladies. Il dit se baser sur des études faites par des occidentaux qui ont démontré que se laver dans le lac peut soigner entre autres rhumatisme, éruptions cutanées et hémorroïdes. Et comme mode d’emploi, il déclare qu’il ‘‘suffit juste de prendre un bain dans le lac pendant un quart-d’heure. Et après, il y a de l’eau douce dans les environs du lac, vous allez vous rincer avec. Et si vous avez les maladies que je viens de mentionner, vous allez  guérir’’.

‘‘Le mois de septembre, le pire des mois pour le tourisme’’

Par chance, Amadou Wane Dieng est moins  réservé que ses congénères. Et comme son collègue anonyme, il s’active dans le secteur de l’extraction du sel mais aussi du tourisme. Cet homme loquace s’avance sur la situation pluviométrique qui fait  bon ménage avec l’exploitation saline. ‘‘Pour le sel, on ne se plaint pas, car cette saison il y a de bonne récolte. Il n’a pas plu assez l’an passé, c’est la raison pour laquelle, il y a assez de sel. Et on a commencé notre récolte depuis 4 mois’’, a précisé M. Dieng qui suait à grosses gouttes et ne cessait pendant l’entretien de se gratter le visage. ‘‘Pour l’instant, le tourisme ne marche pas, mais dès le début de la saison, vers les mois d’octobre, mai, on se frotte les mains. Pour l’heure, on n’a rien. Le mois de septembre est le pire des mois de la saison. Si ça marche, on  ne se plaint pas. Mais en ce moment, c’est très difficile.

L’an passé, on a beaucoup souffert avec la maladie d’Ebola ; elle a ruiné notre saison’’, déclare-t-il, ajoutant que les Français constituent le gros des clients. Et selon des confidences, il y a plusieurs façons de faire du tourisme dans cette localité. ‘’On discute des conditions et le client dira le genre de visite qu’il veut et puis on va faire la tournée dans la mesure du possible. En bonus, il y a la possibilité d’admirer les différentes étapes de l’extraction du sel’’, détaille-t-il. A ses côtés, un travailleur qui suivait la discussion fait savoir que les touristes peuvent aussi opter pour la visite des 5 villages qui se situent autour du lac. Ainsi Niagues, Niague Peulh, Wayembam, Mbèye et Dem reçoivent éventuellement des touristes.

Du côté des vendeurs d’antiquités, personne ne fait plus recette depuis la fin du règne d’un certain Abdoulaye Wade. ‘‘Je ne parviens plus à avoir 2 500 F CFA par jour. On ne voit plus les clients. Contrairement à l’époque où on faisait de bonnes recettes’’, nous a confie un antiquaire en mode rasta et qui n’a pas voulu être enregistré encore moins se dévoiler.

’Nos difficultés résident particulièrement dans la concurrence que nous avons avec les guides’’

Au Lac Rose, c’est comme s’il n’y avait que des hommes. Et pourtant, des femmes s’y trouvent et s’activent dans le secteur du sel, et dans la vente des objets d’art. Toutefois, c’est l’omerta chez elles. ‘‘On n’a rien à vous dire mais retenez que nous vivons avec beaucoup de difficultés dans cette zone’’, dixit une dame, la quarantaine sonnée, devant son étal de marchandises composé de tous types d’objets d’art.

‘‘Notre principal souci réside dans cette localité par le fait qu’on peine à exporter le sel après son extraction. Cela nous pose trop de problème. On peine vraiment à importer le sel. La concurrence que nous avons avec les guides ne nous facilite pas la tâche non plus. Je me dis que si vous venez dans cet endroit avec un guide, c’est insensé. Car personne ne maîtrise mieux que nous cette localité. Cela nous coûte cher, avec une énorme perte’’, conclut une personne qui se targue de travailler sur le site depuis plusieurs années.

CHEIKH THIAM

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